La gouvernance du rail selon les Suisses

Raclette valaisanne, chalet au pied des montagnes et train réglé sur le tic-tac de son horlogerie réputée. Voici une carte postale bien alléchante pour les amateurs de transports publics. Car l’image d’Epinal n’est pas loin de la réalité en ce qui concerne le service ferroviaire proposé par nos amis helvètes.

Avec une part modale de 20,6% (par train, tram, trolleybus, bus) dans le trafic terrestre voyageurs (hors marche et vélo) (voir graphiques ci-dessous), et un habitant sur deux abonné aux transports publics (abonnement général, demi-tarif ou communautaire), la Suisse mène la danse et montre la voie.

A gauche : Part des transports publics dans le trafic terrestre voyageurs en % [1].

A droite : Evolution des personnes-km parcourus en %

Les deux graphique ci-dessus indiquent qu’il y a une répartition modale favorable aux transports publics. Source : UTP, Faits et arguments concernant les transports publics suisses, Edition 2014, p. 11.

Pour mieux comprendre le modèle suisse, il faut d’abord comprendre la structure de gouvernance qui le caractérise, c’est l’objet de cette nIEWs [2].

Une responsabilité partagée entre les niveaux de pouvoir en matière d’offre de transport, financement inclus

Une Confédération, 26 cantons, 148 districts et 2294 communes (fig. 1) et 4 langues nationales : à côté de la Suisse, le fédéralisme belge ressemble à un jeu d’enfants. D’autant qu’en matière de mobilité, tant la Confédération que les cantons et les communes ont leur mot à dire.

Fig 1 : La Suisse comprend la Confédération, 26 cantons ainsi que 2294 communes. Sources : Mémento statistique de la Suisse 2016, OFS, Berne 2016.

En ce qui concerne l’exploitation ferroviaire, le transport suisse est divisé en trois lignes de partage (fig. 2) relativement claires : Le trafic « longues distances » ou « grandes lignes » (appelé « TV » pour « trafic voyageurs ») Le trafic régional (entendu au sens géographique et non administratif du terme) (appelé « TRV » pour « trafic régional voyageurs ») Le trafic local (ou urbain)

Fig. 2 : Le réseau de transports publics suisses. Source : UTP, Faits et arguments concernant les transports publics suisses, Edition 2014.

Chaque niveau de pouvoir est concerné par un ou plusieurs types de trafic, pour le(s)quel(s) il va pouvoir participer à la prise de décision mais aussi financer une partie des prestations de transport commandées aux opérateurs. Les flux financiers concernant l’exploitation des différents types de trafic (et non l’infrastructure, nous y reviendrons) sont repris dans la figure suivante (fig. 3).

Fig. 3 : Les flux financiers du financement du trafic. Source : UTP, Faits et arguments concernant les transports publics suisses, Edition 2014, p. 46.

On le voit, le trafic longues distances, comme le trafic international, n’est pas subventionné, mais couvert exclusivement par les recettes commerciales. Pour ce faire, la Confédération offre aux exploitants des concessions leur assurant un monopole durant plusieurs années, en contrepartie desquelles elle peut exiger une offre minimale sur ces relations « longues distances ».

Le financement du trafic régional, toujours du point de vue de l’exploitation, quant à lui, est pris en charge par la Confédération comme par les cantons (qui peuvent proposer aux communes de participer à la charge cantonale), tandis que le trafic local est financé par les Cantons et les communes, le tout sur des budgets ordinaires. Le fret, enfin, est financé par le budget fédéral… mais aussi par l’impôt sur les huiles minérales, soit les accises !

Si les cantons participent donc au financement de l’offre des transports régionaux et locaux, un principe d’équité prévaut : chaque canton participe selon son pouvoir économique. En effet, le rôle de la Confédération est de veiller à ce que tout le pays bénéficie d’un certain niveau de desserte. Pour ce faire, une clé de répartition des interventions financières entre la Confédération et les cantons a été fixée pour chaque canton (la moyenne nationale étant de 50-50). Ainsi, par exemple, le Canton du Jura ne paie que 26%, le reste étant à la charge de la Confédération, tandis que le Canton de Bâle Ville paie 73%, le reste étant à la charge de la Confédération.

Si tout ce petit monde semble pouvoir s’entendre pour faire fonctionner, avec efficacité, un système de transport complexe, c’est notamment parce qu’une base légale forte et claire s’impose à tous, fixe les règles du jeu et des négociations, et définit les rôles et responsabilités de chacun.

Cette base légale est constituée notamment des éléments suivants : Une Loi sur le transport de voyageurs (RS 745.1, LTV), qui précise les règles de fonctionnement du système : un régime de concessions pour l’exploitation des lignes ferroviaires (max 25 ans, renouvelable), le principe du « service direct », c’est-à-dire d’une communauté tarifaire nationale (très attractive pour l’usager), etc. ; La législation fédérale pour le trafic régional (RS 745.16 OITRV), qui précise la relation entre la Confédération et les compagnies de transports en commun (pour le TRV) ; Une ordonnance sur les parts cantonales dans les indemnités pour le transport régional de voyageurs, qui fixe la contribution des différents cantons au financement du TRV (principe d’équité) (RS 745.16, OITRV, art. 29 et annexe 2) ; Une ordonnance définit clairement une offre minimale dans le domaine des transports publics (RS 745.16, OITRV, art. 7, al. 2 à 4) ; Une convention sur les prestations entre la Confédération et les CFF (sorte de « contrat de gestion »), qui attribue aux CFF (chemins de fer fédéraux) l’exploitation du trafic « longues distances », mais aussi la responsabilité de coordonner le transport de voyageurs, en y intégrant le TRV et le trafic local ; Des conventions sur les prestations entre la Confédération, les cantons concernés et les opérateurs de transport régional concernés (CFF ou autre : BLS, SOB, RhB, CJ, TPF, etc.).

Une contractualisation sur base d’objectifs exigeants pour l’opérateur historique plutôt qu’une concurrence de marché formelle

Fig. 4 : Les opérateurs de transports en Suisse et leurs employés. Source : LITRA, Les transports en chiffres, 2015, p. 2.

Avec pas moins de 415 opérateurs de transport en commun (train, tram, trolleybus, bus urbain, téléphériques, etc.) (40 sont ferroviaires), dont 250 entreprises participent au service direct [3] (communauté tarifaire), la Suisse multiplie les interlocuteurs en charge du transport. Officiellement, après une phase de régionalisation du trafic régional en 1996, la Suisse est officiellement passée à un régime de libéralisation dès 1999. Cette libéralisation, dans le sens d’accès libre au réseau, est cependant limitée et encadrée par une législation assez restrictive, et, en tous les cas, ne constitue pas une privatisation du réseau (voir encadré).

Encadré

Concession

« Autorisation d’effectuer une activité qui correspond à une tâche de l’État, ou autorisation d’utiliser une chose publique sur le plan du droit privé. La concession suppose l’existence d’un monopole » [4]

Libéralisation

« La libéralisation consiste à rendre libre l’accès à une activité économique pour différents agents économiques, privés ou publics. Elle signifie la fin du monopole d’une administration ou d’une entreprise (publique ou privée) sur une activité définie par l’autorité publique » [5]. Dans le cas ferroviaire, elle consiste en un accès libre au réseau, accès soumis à une autorisation publique et parfois à une redevance d’utilisation de l’infrastructure.

Privatisation

« Une privatisation est un transfert de la propriété d’une grosse partie, voire de la totalité, du capital d’une entreprise du secteur public au secteur privé » [6].

Le modèle suisse consiste en un ensemble de « concessions » accordées par la Confédération, les Cantons et/ou les communes (voir plus haut), pour l’exploitation, durant plusieurs années, de certaines lignes de train, de bus ou de trolleybus. Pour le trafic « grandes lignes » et international, les CFF ont conservé leur monopole historique. Leur actionnaire, qui définit via un « contrat de prestations » les services attendus, est le Conseil fédéral (« gouvernement » de la Confédération). Pour le trafic régional ou local (urbain), les CFF ne possèdent plus le monopole, d’autres sociétés dites « privées », mais de facto composée majoritairement d’actionnaires publics (Confédération, cantons, communes), passent, elles aussi, des conventions de prestations avec leurs actionnaires [7] . La procédure d’attribution du marché est donc théoriquement possible pour le trafic régional et local, bien que rarement sollicitée. La rentabilité souvent faible du trafic régional [8] (une rentabilité est rare en trafic régional) est contrecarrée par des financements publics (confédération et cantons) définis sur base d’une offre corrélée à la demande de transports.

Notons que la séparation entre opérateur de transport et gestionnaire d’infrastructure est purement comptable en Suisse pour les CFF (grandes lignes et lignes régionales), contrairement à la Belgique où les sociétés sont de facto différentes (SNCB et Infrabel).

La compétition n’existe donc pas formellement entre les opérateurs sur la même ligne, mais bien sur base de concessions pluriannuelles et uniquement pour le trafic régional.

Cependant, l’approche suisse a depuis toujours été basée sur un fonctionnement commercial des entreprises de transport en commun. Ainsi, les chemins de fer sont considérés comme une entreprise comme les autres, au service du pays, de sa population et de son économie, mais exploitée selon des règles commerciales. Leur fonction de pourvoyeur de services de mobilité a donc prévalu sur celle de créateur d’emplois ou de réserve budgétaire pour les comptes de l’Etat.

Ailleurs, notamment en Belgique, l’histoire des chemins de fer a également débuté par une multiplication d’opérateurs « privés », bien que certains « conseils d’administration » étaient déjà composés de représentants de communes, parfois majoritaires (exemples des société de transports intercommunaux ou de la SNCV en Belgique). Dans un souci d’harmonisation des tarifs notamment, une vague d’étatisation a abouti progressivement à la création de la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB) en 1926, puis à l’étatisation de l’ensemble du réseau, par vagues successives, jusqu’en 1958. Cependant, la régionalisation du transport, qui a accompagné la fédéralisation du pays, ne s’est pas accompagnée d’une réflexion sur le maintien de cette vision (osons le mot) « nationale » de la mobilité, encore moins d’une possible intégration des tarifs entre les différents niveaux de pouvoir ou de services.

Un fonds de financement unique de l’infrastructure ferroviaire, alimenté par diverses sources et modes de transport

Au niveau de l’infrastructure, la situation suisse est un peu différente. C’est la Confédération qui est responsable du financement des infrastructures ferroviaires pour les grandes lignes et les lignes régionales, à travers le fonds d’infrastructure ferroviaire. Ce fonds est alimenté notamment par les Cantons, qui n’ont cependant pas de participation directe à un projet spécifique. Pour ce qui relève de l’infrastructure à fonction de desserte purement locale (dite aussi « desserte urbaine »), par exemple pour le financement d’un réseau de tramway, il appartient aux villes, communes et cantons de le prendre en charge, selon leurs propres règles. Si le tramway a une fonction de desserte plus large, « régionale », c’est la Confédération qui interviendra.

Le 9 février 2014, les citoyens suisses ont adopté à une confortable majorité (62%) le projet de financement et d’aménagement de l’infrastructure ferroviaire (FAIF). Ce projet inscrit dans la Constitution le nouveau fonds d’infrastructure ferroviaire (FIF), de durée indéterminée, ce qui permet une planification plus aisée des investissements. La loi sur le fonds d’infrastructure ferroviaire (LFIF), qui ancre cette réforme dans une base légale, est entrée en vigueur tout récemment, le 1er janvier 2016. Ce nouveau fonds financera la maintenance de toute l’infrastructure ferroviaire (entretien et renouvellement – qui sont, en Belgique, sur deux budgets séparés), ainsi que les projets d’aménagement de cette infrastructure (par ex. les augmentations de capacité du réseau qui, rappelons-le, est le plus utilisé au monde). Les mesures d’aménagement seront décidées par étapes, devant le Parlement, tous les 4 à 8 ans. A ce jour, le Programme de développement stratégique (PRODES), signé par la Confédération et les cantons, définit les objectifs stratégiques [9] et fixe deux étapes d’aménagement (2025 et 2030) pour les atteindre. Les étapes d’aménagement de l’infrastructure ferroviaire sont soumises à l’approbation de l’Assemblée fédérale. Le Parlement approuve aussi les crédits d’engagement nécessaires : un budget de 6,4 milliards CHF a été fixé pour l’étape d’aménagement 2025, soit un doublement des investissements actuels. Tous les quatre ans, le Conseil fédéral présente à l’Assemblée fédérale un rapport sur les progrès de l’aménagement. (Plus d’infos sur le FAIF ici : a),area[href*=".jpg" i]:not(.nofancybox),a[href*=".png" i]:not(.nofancybox,li.nofancybox>a),area[href*=".png" i]:not(.nofancybox),a[href*=".webp" i]:not(.nofancybox,li.nofancybox>a),area[href*=".webp" i]:not(.nofancybox)'); fb_IMG_select.addClass('fancybox image'); var fb_IMG_sections=jQuery('.gallery,.wp-block-gallery,.tiled-gallery,.wp-block-jetpack-tiled-gallery'); fb_IMG_sections.each(function(){jQuery(this).find(fb_IMG_select).attr('rel','gallery-'+fb_IMG_sections.index(this));}); jQuery('a.fancybox,area.fancybox,.fancybox>a').each(function(){jQuery(this).fancybox(jQuery.extend(true,{},fb_opts,{'transitionIn':'elastic','transitionOut':'elastic','opacity':false,'hideOnContentClick':false,'titleShow':true,'titlePosition':'over','titleFromAlt':true,'showNavArrows':true,'enableKeyboardNav':true,'cyclic':false}))}); };}; var easy_fancybox_auto=function(){setTimeout(function(){jQuery('a#fancybox-auto,#fancybox-auto>a').first().trigger('click')},1000);}; jQuery(easy_fancybox_handler);jQuery(document).on('post-load',easy_fancybox_handler); jQuery(easy_fancybox_auto); /* ]]> */