Un expert indépendant tire la sonnette d’alarme : 32 réacteurs sur 58 ont été mal usinés et ne résisteraient pas en cas de surchauffe.
De problèmes aussi graves à une échelle nationale. » La confidence émane d’un homme qui en a pourtant vu d’autres, le Britannique John Large. Cet expert internationalement reconnu pour les questions de sécurité nucléaire a déjà été réquisitionné par le passé pour enquêter sur les sous-marins russes ou sur les survols des centrales françaises par des drones. Cette fois, c’est sur les cuves des réacteurs et générateurs de vapeur des centrales qu’il s’est penché pour le compte de l’ONG Greenpeace, et le résultat est, comme il le dit, « pas seulement inquiétant, mais franchement préoccupant ».
Qu‘indique son rapport, rendu public ce jeudi 29 septembre, et que « l’Obs » a pu se procurer en exclusivité ? Qu’une bonne moitié (55%) au moins des réacteurs nucléaires français – peut-être davantage – comportent des pièces défectueuses.
On savait certes, grâce à un document rendu public par l’ASN le 23 septembre dernier, que les centrales tricolores comptaient 87 pièces irrégulières. Mais le rapport Large enfonce le clou : il en a déniché 107, et n’a probablement pas terminé son travail. Ces pièces ont été commandées par Areva et fondues par l’entreprise Creusot Forge ces dernières décennies.
Des Fukushima possibles
Leur grande faiblesse porte un nom : « anomalie de la teneur en carbone ». C’est-à-dire qu’elles ont été fondues en laissant une trop grande teneur en carbone dans certaines zones. En cas de choc thermique (c’est-à-dire à l’envoi d’eau glacée pour refroidir l’emballement d’un réacteur, action déployée en cas de surchauffe), ce trop-plein de carbone rend l’acier cassant, donc vulnérable à la fissuration, voire à la déchirure.
Autrement dit, elles ne résisteraient pas et les conséquences en seraient évidemment catastrophiques. John Large alerte : « Ce sont autant de Fukushima possibles ! »
Il n’est pas allé par lui-même vérifier toutes ces pièces, mais s’est plongé pendant plusieurs mois dans la volumineuse documentation technique fournie par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme français de l’atome.
L’expert déplore :
« Faute de moyens légaux, et peut-être humains, l’ASN n’est pas allée enquêter trop profondément sur ces dysfonctionnements. Elle a dû attendre qu’Areva lui signale les anomalies, au cas par cas. On ne sait donc probablement pas tout ! »
Malfaçons
A l’heure actuelle, au moins 32 réacteurs dans 14 centrales françaises sont concernés par ces anomalies, qui affectent les fonds et les calottes des cuves des réacteurs – c’est le cas, par exemple, à l’EPR de Flamanville, sur lequel John Large a longuement enquêté – mais aussi des générateurs de vapeur et des pressuriseurs.
Et ces anomalies ne datent pas d’aujourd’hui. John Large explique :
« Même si l’on dispose d’informations précises, on constate que les pièces fabriquées depuis 1965 au Creusot souffrent de ces irrégularités. Et que les vérifications techniques effectuées par Areva ne sont pas fiables, pas plus que les certifications de l’ASN. »
Pour autant, les malfaçons ne sont pas réservées aux réacteurs les plus anciens, puisqu’une dizaine, soit un petit tiers d’entre eux, sont de fabrication récente. Pour Cyrille Cormier, chargé de campagne chez Greenpeace : « C’est toute la chaîne du nucléaire français, de la fabrication à la vérification, qui est discréditée par le travail du cabinet Large. Et nous ne sommes pas au bout de nos découvertes, il en reste probablement beaucoup à connaître ! C’est le signe qu’il est urgent de mettre hors d’état de nuire un grand nombre de ces centrales. »
EDF n’a pas encore réagi au rapport Large, mais l’énergéticien a déjà relativisé la portée des accusations portées par l’ASN sur la cuve du réacteur de Flamanville le 23 septembre dernier. EDF a tranché : « Aucune pièce n’est affectée par des problèmes de teneur en carbone. »
Une allégation que conteste aujourd’hui John Large, preuves à l’appui.
Source : Arnaud Gonzague, du « Nouvel Observateur »